J’étais tranquillement installé dans mon salon avec mon petit-fils, en train de lui lire une histoire. Je voyais qu’il était distrait par autre chose, car il regardait par la fenêtre la neige tomber. Il avait l’air inquiet :
« Que se passe-t-il ? Demandais-je. Tu as l’air préoccupé.
- Oui. Je n’aime pas trop cette histoire. Je préfèrerais que tu me racontes celle de ton fils, tu sais, mon oncle qui est mort.
- Non tu es trop petit pour l’entendre. Je ne veux pas que tu fasses des cauchemars la nuit à cause de moi.
- Mais ne t’inquiète pas ,je suis sûr qu’elle ne me fera même pas peur. En plus j’ai huit ans, je suis grand maintenant. S’il te plait grand-père, je t’en supplie, je veux l’entendre.
- Très bien, pour te faire plaisir. »
J’avais beau lui dire ceci, je n’avais pas très envie de la lui raconter. Mais il sait y faire avec moi, je ne lui résiste jamais bien longtemps.
« C’est l’histoire de ton oncle et de ta tante. Ils avaient une petite fille de huit ans, comme toi. Ils vivaient dans un petit village de Normandie d’une centaine d’habitants. Ils étaient les plus heureux parents du monde. Jusqu’au jour où ce meurtrier est entré dans la maison par effraction la nuit,et a poignardé la petite fille, on ne sait pourquoi. Sans doute un homme jaloux de ton oncle, comme beaucoup. Depuis ce jour, leur vie a basculé. Mais heureusement, cet homme a été retrouvé et aujourd’hui, il est en prison et y restera jusqu’à sa mort. Mais depuis la mort de ta cousine, certains phénomènes étranges se sont produits : toutes les personnes ayant habité au village ont été poignardées.
Toute les personnes ayant vu un de leur proche se faire tuer parlent des mêmes choses étranges : un souffle d’air frais, puis un brouillard s’approchant de la victime endormie, un poignard, sortant de nulle part qui se rapproche de plus en plus, jusqu’au moment où il vient se planter dans la poitrine du pauvre villageois et en même temps, un cri : celui d’une petite fille hurlant sa joie …
Moi mon petit, j’ai vu ta grand-mère se faire poignarder. Je me souviendrais de ce jour toute ma vie. C’était en 1932. J’étais en train de faire le guet, assis sur une chaise à côté du lit où dormait ma femme, mon fusil à la main. Je guettais une arrivée quelconque, en pensant plutôt que ce serait un tueur en série qui apparaitrait. Tout à coup, un courant d’air, glaçant le sang, un brouillard angoissant, puis le fameux poignard…
J’étais terrifié, pétrifié. Mais je ne sais quelle force s’empara de moi et me fit tirer sur le poignard. La balle disparut dans le brouillard.
Le couteau se tourna dans ma direction me menaçant comme porté par une personne invisible. J’étais tellement affolé que je sortis de la chambre en moins de deux. Je m’enfermai dans la bibliothèque. J’y restais pendant plusieurs heures pour réfléchir. Je savais qu’en ressortant, je retrouverais ma femme morte.
Et en effet, elle avait un poignard planté dans la poitrine. J’avais peur. Peur que ce moment horrible ne se reproduise. Peur de mourir à mon tour. Je pleurais, assis à côté d’elle. Je l’embrassais une dernière fois. Ses lèvres étaient froides comme la glace, et comme le courant d’air que j’avais ressenti avant sa mort.
J’appelais la police. Aucune empreinte ne fut trouvée sur le couteau. Je fus interrogé de nombreuses fois. On me prenait pour un fou. J’ai même failli aller en prison, car j’étais soupçonné. Ton père et ton oncle ne me parlaient plus, car ils ne croyaient pas, eux non plus, à mes explications surnaturelles. J’étais tellement déçu que j’ai tenté de me suicider. Mais heureusement, ma voisine m’en a dissuadé quand elle a vu que je préparais la corde pour me pendre.
Ensuite, tout alla très vite. Tous les habitants du village moururent dans d’atroces souffrances. Que leur est-il arrivé ? Pourquoi sont-ils morts ? Qui les a tué ? Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête.
Toi, mon enfant, tu te demandes sûrement comment j’ai fait pour survivre. Comme tu le sais, tes parents vivaient en Rhône-Alpes, tout près de Lyon. Comme ils voyaient que je déprimais, ils m’ont invité à passer un peu de temps chez eux. J’y suis resté pendant deux ans. Durant cette période , tous les villageois se firent tuer : les amis, la famille, les voisins, tout ceux que je connaissais… mes fils étaits les dernières personnes encore vivantes que j’aimais.
Ton oncle fut le dernier survivant du village. Il savait que son heure viendrait. Il n’avait pas peur. Il n’avait jamais peur. C’était un brave homme. Il attendait la mort avec curiosité et impatience. Car, il avait perdu les personnes pour lui les plus chères à son cœur :sa fille, puis sa femme. Mais il était tout de même anxieux de savoir ce qui se passerait, des sensations que lui procurerait le poignard planté dans la poitrine, la mort gagnant son corps. Il jouissait de savoir ce qu’était la mort. Les quatre dernières heures de sa vie, il les passa avec moi au téléphone. Il me racontait tous les moments de sa vie qui l’avaient marqué. Dès que les phénomènes étranges apparurent, il s’empressa de tout me raconter : l’arrivée du brouillard, de l’air glacé, le poignard,… il me dit tout. Il pleurait. Je pleurais avec lui. Je lui criais de s’enfuir, mais il ne voulait pas. Je hurlais au téléphone, je ne savais plus quoi lui dire. Ce moment était intense et oppressant. Je n’avais jamais éprouvé ce sentiment. Je refusais de réaliser que c’était la dernière fois que je lui parlais. Il me dit « je t’aime mon père ». Je lui répondis « Je t’aime mon fils ». Il allait vraiment me manquer. Je m’affolais, criais encore plus fort. Il ne disait rien d’autre que « Je t’aime papa, je t’aime tellement ». Il commençait à regretter de ne pas s’être enfui plus tôt, car désormais, il était trop tard. Il allait mourir. Il finit par me dire « Je suis sincèrement désolé de te faire tout ce mal ».
Ce furent ses derniers mots. Puis d’un coup, il ne dit plus rien. Un cri épouvantable me fit sursauter. «C’était la voix de ma petite-fille, ta cousine …»
Mon petit fils me regardait avec de grands yeux écarquillés. Je pense que je n’aurais jamais dû lui raconter cette histoire, qu’on aurait pu croire toute droit sortie d’un film. Je finis de boire ma bouteille de whisky pour me détendre un peu tant cette histoire me terrorisait.
A chaque fois que je la raconte, je suis aussi choqué que si je la vivais à ce moment.
C’est la fin de la journée. J’ai déjà ramené le petit à sa mère. Je me laisse tomber dans mon fauteuil en repensant à cette journée, qui m’a rappelé de mauvais souvenirs. J’allume la télévision et regarde les informations, sans même m’y intéresser. Mais subitement, un bruit inquiétant me fait lever de ma chaise, surpris. Je suis debout, face au couloir. On dirait q’une personne enfermée dans ma chambre cherche à s’en échapper. J’avance lentement. Au bout d’une dizaine de secondes, la porte s’ouvre et un couteau en sort, plein de sang …
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